Soixante-dix ans jour pour jour après les faits…

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Le 29 décembre 2016, sur la commune du Poinçonnet, le froid n’aura pas réussi à dissuader les quelque cent-cinquante personnes venues se réunir pour commémorer ce ‘’déplorable‘’ anniversaire et, surtout, manifester leur détermination pour que justice soit « enfin » rendue à Raymond Mis et Gabriel Thiennot, ainsi qu’à leurs six compagnons d’infortune.

Le Poinçonnet – commune limitrophe de Châteauroux – avait symboliquement été retenue pour cette commémoration parce qu’elle fut, en 2005,  la toute première commune à enfreindre la loi en donnant courageusement les noms de Mis & Thiennot à un bâtiment public : L’Espace Rencontres.

De nombreux élus (sénateur, députés, maires…) étaient présents, notamment les maires ayant inauguré un lieu public Mis et Thiennot au sein de leur commune.

L‘intervention du chanteur Fred Daubert a particulièrement été appréciée. Fred avait eu connaissance de l’affaire lors d’une projection du film de Dominique Adt « Présumés coupables » qui avait eu lieu à Saint-Georges-sur-Arnon, commune où il réside, en juin 2014.


Discours de Jean Petitprêtre

Madame la Présidente et Cher Léandre,
Madame la Députée,
Chère Isabelle,
Cher Jean-Paul

Mesdames et Messieurs les Maires, Chers Collègues,

Mesdames et Messieurs les membres du Comité de soutien à Raymond MIS et Gabriel THIENNOT,

Chers Amis,
Très chère Janine, Thierry, Eric,

Permettez-moi d’abord de reprendre quelques passages de mon intervention du 2 juillet 2005 à l’occasion de l’inauguration de l’Espace rencontres Mis et Thiennot.

« Je suis particulièrement heureux de vous accueillir au Poinçonnet ce soir pour rendre hommage avec vous au très long, très remarquable et très courageux combat mené pendant plus de 50 ans par Raymond MIS et Gabriel THIENNOT avec le soutien de leurs familles et de leurs amis (…)

Près de 60 ans de combats, d’angoisses, d’anxiété, d’espoirs toujours trahis.
Imaginez la somme de souffrances, d’espérances, de tristesse et de rage.
Injustement condamnés après une enquête menée à charge, graciés mais jamais réhabilités(…)

Plus d’un demi-siècle sans que justice leur soit rendue malgré les incohérences de l’enquête, les preuves, les faits probants apportés par un Comité de Soutien actif et opiniâtre(…)

Dans l’atmosphère trouble et délétère de l’après guerre, dans une campagne qui vivait encore repliée sur elle-même, le résistant communiste et le fils d’immigré polonais constituaient des coupables faciles.
Ils auraient dû être brisés, laminés, oubliés et pourtant, ils sont toujours debout (…)
Amnistiés mais non réhabilités ils ont mené l’un des plus longs et des plus beaux combats de ces dernières décennies.

Un beau combat qu’il fallait mener, soutenir et encourager.
D’autres l’ont fait avant nous, plus que nous et mieux que nous: leur famille, leurs amis, le Comité de Soutien, Léandre BOIZEAU et Jean-Paul THIBAULT.

Dans cette affaire, nous ne sommes que des artisans modestes même si le hasard fait que nous sommes les premiers à dénommer un équipement public des noms de Raymond MIS et Gabriel THIENNOT.
Par sa justesse, par son ampleur, par sa durée, par sa résonance nationale, le combat de Mis et Thiennot restera (…) vivant dans les mémoires des citoyens de l’Indre et de notre pays.
Comme l’a si bien dit Léandre BOIZEAU, leurs deux destins ont été réunis parce qu’ils se sont retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. A partir d’aujourd’hui, ils resteront ensemble parmi nous tant que ce bâtiment existera et ce ne sera que justice(…)
Cette inauguration se veut aussi un message d’espoir, l’espoir que la quatrième requête sera enfin pour eux le bout du chemin et le moment de la réhabilitation tant attendue (…)»

Voilà je n’ai pratiquement rien à retrancher aujourd’hui de cette intervention.
Malgré nos espoirs elle reste malheureusement toujours d’actualité.
Une actualité douloureuse pour toutes celles et tous ceux qui depuis de trop longues années luttent sans relâche pour la réhabilitation de Raymond et Gabriel.
Mais 70 ans après, ce combat est-il toujours d’actualité?
Oui, nous en sommes tous ici persuadés.
Pour eux d’abord, pour leur mémoire, pour leurs familles et pour leurs amis.
Mais aussi parce ce que nous vivons aujourd’hui dans un monde où les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets.
Il était d’origine polonaise, il était sympathisant communiste, ils n’étaient pas dans la norme de ce monde clos de la Brenne d’alors.
Il est toujours risqué de ne pas être dans la norme: pas de la bonne classe sociale, pas de la bonne couleur de peau, pas de la bonne croyance ou pas croyant du tout, pas du bon côté du pouvoir établi.
Comme Mis et Thiennot.
Le combat pour la réhabilitation de Mis et Thiennot n’est pas seulement un combat qui reste actuel, c’est aussi un combat crucial pour la sauvegarde d’un monde libre et chaleureux.

C’est cela la dimension particulière et universelle de cet anniversaire qui nous rappelle la nécessité de lutter chaque jour contre l’intolérance, l’obscurantisme, la haine et la violence auxquelles il ne faut jamais s’habituer.

Et pour la justice.
Je lisais dernièrement un article dans l’hebdomadaire «Courrier International». Cet article était intitulé «Condamné, exécuté, réhabilité».
Un condamné réhabilité par la justice de son pays.
Ce n’était pas en France bien sûr pays où l’on n’exécute plus les condamnés mais en Chine!
Ce qui est possible en Chine au pouvoir plutôt dictatorial ne serait-il pas possible en France, terre de lumières et des droits de l’homme.
La France est un pays sans exécutions ni réhabilitations.

Mais le combat continue.

Je salue la mémoire de Jean-Paul THIBAULT.
Je salue Léandre, Helga et tous les membres du comité de soutien pour leur constance et leur opiniâtreté.
Je salue mes collègues maires qui sont l’honneur de la République en défendant ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Je vous salue Jeanine, Thierry et Eric pour vos peines, vos espoirs et pour votre grandeur dans l’adversité.
Je vous salue toutes et tous pour votre présence et votre soutien.
Avec vous, grâce à vous nous continuerons à mener ce combat pour un monde de liberté, de tolérance et de justice.
C’est aussi cela notre combat pour Raymond MIS et Gabriel THIENNOT.

Je vous remercie avec chaleur, espoir et optimisme.
Car tant que des hommes et des femmes comme vous se lèveront pour dire non à l’injustice, à l’obscurantisme, à l’intolérance et à la haine nous pourrons continuer à croire en un monde meilleur, chaleureux et fraternel.

Jean Petitprêtre, maire du Poinçonnet

Discours de Léandre Boizeau

Il est des jours d’hiver où la Brenne affiche la tragique beauté de la désespérance. La nature se fige, les animaux restent au gîte et les hommes, les hommes eux-mêmes, se font violence pour quitter le coin du feu!

Le 29 décembre 1946, évidemment que pas un seul lapin de garenne n’allait se risquer hors du terrier. Et bien si! Un. La pièce unique et maîtresse du tableau de chasse réalisé par la dizaine de jeunes chasseurs qui bravèrent ce jour-là le brouillard et le froid qui régnaient sur les terres de la Blinerie, commune de Saint Michel en Brenne.

Fallait-il être jeune! Fallait-il être fou! Ces garçons venaient d’échapper à la traînée sanglante laissée par les troupes nazies en Berry, ils sortaient tout juste des années de guerre et de plomb. Fallait-il qu’ils soient animés d’un formidable appétit de goûter aux choses simples de la vie pour être là! Stupidement là, un jour de grand froid! Tragiquement là!

Ils venaient d’horizons divers, ne se connaissaient pas, ils étaient simplement réunis par un de ces concours de circonstances comme seul le hasard peut en ménager.

Et pourtant leur destin venait de se sceller: mauvais endroit, mauvais moment… et puis mauvais flics, mauvais juges. On connaît la suite.

C’était il y a soixante-dix ans aujourd’hui, à cette heure-là de la journée, la vie de huit jeunes hommes venait de basculer, mais ils ne le savaient pas encore. Ils ne l’apprirent que dans les jours et les nuits qui suivirent quand on les précipita dans l’enfer de la mairie et la gendarmerie de Mézières-en-Brenne.

Un peu plus d’une semaine après, Gabriel Thiennot 20 ans, Raymond Mis 21 ans, Stanislas Mis 20 ans, Bernard Chauvet 18 ans, Émile Thibault 26 ans Gervais Thibault 23 ans, Jean Blanchet 21 ans, André Chichery 26 ans n’étaient plus que de pauvres loques ensanglantées qu’on livrait en vrac à la Maison d’Arrêt de Châteauroux.

Les assassins du garde Louis Boistard sont sous les verrous! On a fini par les avoir. Non sans mal: ils ont nié les faits jusqu’au bout. Jusqu’au-delà du bout pour certains! On en fait les gros titres des journaux. Quel beau travail de la police française! Quel talent! Quelle conscience professionnelle! Quelle ténacité! Et quand c’est écrit dans le journal, c’est parole d’évangile!

Pauvre vérité malmenée, pauvre lecteur abusé. Et s’ensuivra pauvre Justice bafouée qui condamne une première fois pour couvrir les graves violences, les exactions policières dont ont été victimes les malheureux qui sont dans le box des accusés et qui condamne une seconde puis une troisième fois pour couvrir ses propres errements.

Les vies brisées, les drames familiaux, les années de prison, tout ça, avec un peu de chance, aurait pu émarger au chapitre pertes et profits de la Justice. Il suffit pour elle de faire le gros dos et la sourde oreille, c’est ce qu’on appelle l’autorité de la chose jugée qui mise sur le fait qu’avec le temps, le justiciable doit pouvoir s’accommoder de tout, même de l’inacceptable.

Sauf qu’eux, les huit, n’ont jamais pu. Ils n’ont jamais pu parce qu’on avait été trop loin avec eux, jusqu’au reniement d’eux-mêmes et que là, on avait franchi la ligne jaune. Sortis de prison après les péripéties que l’on connaît, jamais aucun d’entre eux n’a renoncé à clamer haut et fort son innocence. Dans le désert pendant longtemps. Jusqu’en 1980.

A cette date des hommes, des femmes, révoltés par tant d’injustice se lèvent et décident d’engager la lutte pour la révision du procès Mis et Thiennot. C’est la création du Comité de Soutien. Leurs armes: un dévouement hors du commun, une volonté sans faille, une détermination de tous les instants, au service d’une certaine image qu’ils se font de la Justice.

Ces hommes et ces femmes de bonne volonté, ces citoyens à part entière vont se mettre en tête d’affronter la machine judiciaire et de tenter de la faire revenir sur ses certitudes les plus absolues, celles sur qui elle fonde son autorité de droit quasi divin. Entrer dans l’univers kafkaïen de la Magistrature fut pour beaucoup d’entre eux un exercice difficile. Comment dépasser le stade du rituel dépôt d’une requête en révision –rejet de la requête en révision?

Et qui étaient-ils ces utopistes de la première heure, ces humanistes engagés?

Des silhouettes de belles personnes peuplent ma mémoire: René Fouassier l’homme tranquillement souriant, Jacques Dugénit, le grand Jacques, héros modeste de la Résistance, René Mével, le tribun qui enflammait les foules, Colette Mével, la femme de l’ombre qui assurait les arrières, Pierre Gréard, mon petit Pierre, le vaillant, l’indomptable… Et puis Jean-Paul bien sûr! Jean-Paul, le magnifique, sortant épuisé après ce qui fut une des plus belles plaidoiries de sa carrière devant les magistrats de la cour de cassation, Jean-Paul dominant la maladie en direct à la télévision pour défendre une dernière fois la cause…Tous nous ont quittés. Qu’ils sachent que nous sommes fiers d’eux, de ce qu’ils étaient, de ce qu’ils ont fait et du combat qu’ils ont mené.

Trente-six ans se sont écoulés depuis la création du Comité de Soutien. Après six dépôts de requête en révision et autant de rejets, l’exigence de Justice est toujours aussi forte. Celles et ceux qui la portent maintenant sont les héritiers en ligne directe de ces pionniers.

Les Helga, les Michel, Dany, Colette, Claudette, Christian, Éric, Jacques, Philippe et tant d’autres sont faits du même bois, ils sont porteurs de la même détermination celle qui anime les combattants d’une juste cause.

Ce sont eux qui sont à l’initiative quand il s’agit de s’adresser aux élus pour obtenir leur soutien. Démarche inhabituelle dans un pays qui se targue de pratiquer vertueusement la séparation des pouvoirs et c’est bien ce que les autorités préfectorales ont laissé entendre aux premiers maires qui ont manifesté le désir de donner le nom de «Mis et Thiennot» à un édifice public. Menacé d’encourir les foudres du Tribunal administratif, Jean Petitprêtre, maire du Poinçonnet, sera le premier à oser franchir le pas. L’Espace Mis et Thiennot devant lequel nous sommes ce soir sera inauguré le 2 juillet 2005. Et la menace fera long feu…

Depuis vingt communes berrichonnes, bientôt vingt-cinq, ont décidé d’arborer fièrement les couleurs de la Justice sur leurs murs. Il nous appartient à nous qui sommes là ce soir d’apprécier ce mouvement à sa juste valeur. Il ne s’agit pas d’un phénomène de mode qui viendrait en contrepoint du sentiment d’abandon dont ont été victimes Mis et Thiennot dans le passé. Il s’agit d’un engagement politique, au sens noble du terme, extrêmement courageux, un acte civique fort qui honore ses décideurs et, à travers eux, honore la fonction d’élu si souvent décriée. C’est aussi un appui précieux qui peut s’avérer décisif dans la lutte que nous menons pour la révision du procès Mis et Thiennot. Merci à vous, les élus, de nous avoir rejoints en première ligne dans ce combat!

Plus que jamais, nous voulons que Justice soit rendue à des hommes qu’on a laissés partir sans que leur innocence ne soit reconnue. Gabriel Thiennot, Raymond Mis, Bernard Chauvet, Jean Blanchet, Gervais Thibault, Émile Thibault, Stanislas Mis, André Chichery étaient, de l’avis de tous ceux qui ont eu la chance de les côtoyer, des hommes cabossés, tourmentés, blessés au plus profond d’eux-mêmes, mais, contre vents et marées, des hommes debout, farouchement dignes.

«La différence entre vous et moi, c’est que demain, moi je pourrai me regarder sans honte dans ma glace, pas vous. Et dans vingt ans, dans trente ans, tout le monde se souviendra de Mis et Thiennot comme étant victimes d’une grave erreur judiciaire, mais personne ne se souviendra de vos noms»

Gabriel Thiennot face aux magistrats de la Cour de Cassation qui viennent de rejeter la troisième requête en révision. Une scène surprenante. Un retournement de situation totalement inattendu. Mais aussi et surtout une formidable leçon de courage et de dignité administrée à ces juges qui baissent le nez comme des gamins pris en faute!

Nous tous qui sommes là ce soir, faisons en sorte de pouvoir, nous aussi, nous regarder sans honte dans notre glace. «On devra désormais se contenter de la vérité judiciaire» s’est-on entendu dire une fois par un magistrat.

Et bien non! On ne s’en contentera pas de celle-là!

C’est la Vérité qu’il nous faut, la seule qui vaille. Une Vérité due au nom du devoir de mémoire à des victimes de la torture institutionnelle, la pire de toutes, celle qui fait honte à une Nation qui est aussi la Patrie des Droits de l’Homme. Une Vérité qui éclairera d’un jour nouveau l’image de la Justice que certains s’ingénient à dégrader.

Ce soir, plus que jamais, nous sommes tous les enfants de Mis et Thiennot.

Texte de la chanson de Fred Daubert

La nuit est tombée sur la Brenne
On a refermé les persiennes
Doucement la ville s’endort
Les enfants rêvent à jeudi
Les vieux roupillent comme si
Rien ne se tramait au dehors
Dehors, jetés en pâture
À quelques flics à la dent dure
Huit gamins paumés abandonnent
Pour un petit coin de ciel bleu
Leur innocence dans un aveu
Qui comme une injustice sonne
Le jour se lève sur la Brenne
Mauvaises langues se déchaînent
Et promettent à l’échafaud
Le polak et le communiste
Sous le stylo des journalistes
Naît l’affaire Mis et Thiennot
Fer contre terre, telle est l’histoire
Triste des mômes du cauchemar
Qui du fond de la geôle clament
À la justice, vieille sourde
Qu’ils n’ont pas usé de la poudre
À l’heure où les bourreaux se pâment
Garde s’il n’est pas trop tard
Quand ta raison s’égare
L’esquisse d’un espoir
Qu’au mépris des regards
Évidence fait loi
La vérité viendra
Recolorer le ciel
De Raymond et Gabriel
Bonnes consciences de la Brenne
Ne craignent plus et se souviennent
De ces deux frêles silhouettes
À qui l’on offre des statues
Des noms de squares, des noms de rues
Des frontons de salles des fêtes
Mais que l’on a privés pourtant
D’une vie comme on en fait tant
Loin des tourmentes assassines
Et que d’aucuns, sans un remords
Ont abandonné à la mort
Suant dans un manteau d’hermine
Les corrompus, les enrichis
Les commissaires de Vichy
Que l’on décore sans rougir
Peuvent roupiller du sommeil
Du juste sans qu’on les réveille
Les boucs tombent à loisir
Mais combien crèvent en prison
Des Gabriels, des Raymonds
Combien dont les cris ne parviennent
Dans la douceur des dimanches
À percer la ferraille étanche
De vieilles paires de persiennes

Paroles et musique : Fred DAUBERT

* Hommage à Raymond MIS, Gabriel THIENNOT.
Mais également à Émile THIBAULT, Stanislas MIS, Bernard CHAUVET, Gervais THIBAULT, André CHICHERY et Jean BLANCHET

Photos réalisées par Christian Pineau , membre administrateur du Comité de Soutien