Bernard était le plus jeune des condamnés de l’affaire Mis & Thiennot. Décédé le 30/10/2012, à l’âge de 84 ans, il aura jusqu’à son dernier souffle clamé son innocence.

à gauche, sur la photo, lors de l’inauguration de Saint-Gaultier
Ici à droite avec Jean Blanchet

Les mots touchants de Léandre Boizeau lors des obsèques

Bernard Chauvet

« J’ai bien peur qu’on n’en voit pas la fin de cette histoire-là ! Qu’on disparaisse avant que notre innocence ne soit reconnue…. ».

Ces phrases que tu as si souvent prononcées sont inscrites à jamais dans nos mémoires. Tu avais raison Bernard, tu avais tristement raison ! Et nous tous qui sommes là, ta famille, tes amis, nous partageons le même sentiment de frustration teintée de colère à la pensée qu’on puisse laisser partir un homme comme toi sans lui avoir rendu justice. Pour n’avoir eu comme seul tort que de participer à une partie de chasse avec des gens que, pour la plupart d’entre eux, tu ne connaissais pas, ta vie a basculé dans l’horreur le 29 décembre 1946. Toi, le gentil garçon, fils et neveu de gendarmes, toi qui avais sagement passé une partie de ton enfance dans les locaux de la brigade de Palluau, tu t’es brutalement trouvé pris dans une machine infernale, une machine à broyer les corps et les âmes. Ce qu’on a appelé l’affaire Mis et Thiennot commençait. Ce qui s’est passé à la mairie et à la gendarmerie de Mézières-en-Brenne, ce que tu as subi là-bas, toi qui n’avais que 17 ans à l’époque, tu ne l’évoquais qu’avec la retenue qui a toujours été la tienne. Comme si tu avais honte pour ceux qui t’ont infligé ces traitements dégradants, comme si tu avais plus souffert pour les autres que pour toi, comme si l’image de ton père ayant un mouvement de recul à la découverte de ton pauvre visage tuméfié t’était encore plus insupportable que le souvenir des coups reçus.

Que dire d’une société qui accepte qu’on tabasse impunément d’honnêtes citoyens pour leur faire avouer un crime qu’ils n’ont pas commis ?« C’est malheureux à dire disais-tu souvent, on me fait transporter le corps du garde, c’est quelqu’un que je ne connais pas, c’est quelqu’un que je n’ai jamais rencontré, je ne l’ai jamais vu cet homme-là… » Que vaut la bonne foi d’un innocent quand elle est confrontée à la violence policière et à l’aveuglement judiciaire ? Nous qui sommes là aujourd’hui pour t’accompagner et te rendre l’hommage que tu mérites, essayons d’imaginer un instant ce qu’a pu être le drame d’un homme qui, pendant plus de soixante-cinq ans a dû vivre avec, au fond du cœur, cette plaie jamais refermée. Et peut-on mesurer ce qu’il t’a fallu de force, de courage, pour te relever, toi l’homme brisé, et parcourir ton chemin de vie droit, fier, digne, respecté, respectable ?

Pendant toutes ces années, tu n’as jamais cessé de te battre pour la révision du procès Mis et Thiennot, à ta manière à toi, faite de gentillesse, d’écoute, de dévouement et d’ouverture aux autres. Ceux qui ont eu la chance de te côtoyer garderont le souvenir d’un honnête homme.. Un honnête homme porteur de cette part d’humanité qui a si cruellement fait défaut, aux policiers qui vous ont martyrisés, aux magistrats qui vous ont condamnés comme à ceux qui, jusqu’alors, ont refusé de réviser le procès Mis et Thiennot.

Bernard, tu as vu partir André Chichery, Gervais Thibault, Gabriel Thiennot, Stanislas Mis, Émile Thibault, Raymond Mis, tes compagnons de souffrance … mais aussi Pierre Gréard, Jean-Paul Thibault, et tant d’autres de nos compagnons de lutte.

À chaque fois que nous avons perdu l’un des nôtres, nous avons pris, tu le sais, l’engagement de poursuivre le combat. Et nous avons tenu parole. C’est ce même engagement que nous prenons aujourd’hui, devant toi, avec la même détermination. Le combat continue. Pour toi, pour Raymond et Gabriel, pour les autres. Pour la justice aussi même si, jusqu’alors, elle ne semble pas l’avoir compris. Merci Bernard pour ton engagement sans faille aux côtés de ceux qui luttent pour la vérité, merci d’avoir été cet homme-là. Tu étais simplement, tout simplement quelqu’un de bien.